Ottó Tolnai: György Verebes

Présenté à la Galérie  Aba-Novák de Szolnok, le 19. janvier 2007.

Chez nous, au nord de Bácska (en Voïvodine en Serbie), le nom Verebes passe presque pour mythique, indiquant une famille de musiciens bien nombreuse. (En fait, mon enseignant de violon s’appelait aussi Verebes–  et il faut y avoir une bonne relation entre le petit enfant et son prof de violon, puisque le maître doit aller tout près de son disciple pour pouvoir bien placer le corps, l’instrument, les doigts …  On peut dire qu’il doit étreindre le petit pour bien enseigner à jouer du violon.) György vient d’une autre branche de la famille: ses parents sont médecins. Du cȏté maternel, il vient de la famille Vígh qui est une autre famille légendaire de médecins dans la ville de Senta. Nous ne devons alors y ajouter que quelques détails pour éclairer la situation et le genèse de son oeuvre.

Avant tout, je mentionne le lycée polytechnique.  La colonie  d’art de Senta est aussi importante, avec la présence intensive des peintres dans cette petite ville où la population hongroise est prédominante. Les enfants peuvent trouver dans la rue des peintres venus de Paris. Ils pouvaient voir Konjovic, qui avait été le disciple de Soutine, de Rouault, de Czóbel et de Tihanyi et qui était célèbre aussi pour ses gestes larges de pinceau qu’il faisait tourner dans sa main comme une épée… Ou bien pouvaient-ils rencontrer József Ács, le peintre aux gestes  refroidis par la raison. N’oublions pas József Benes non plus qui dépeint les bords du fleuve Tisza avec des marrons éteints comme si la bataille de Senta les avait détruits à jamais, et dont les tableaux représentaient plusieurs fois une figure mythique ressemblant à un Golem. Il ne faut encore ajouter à tout cela que la présence intensive du génie de Barcsay à l’Académie des Beaux-Arts  de Budapest.

En feuilletant ses papiers j’ai remarqué une de ses études anatomiques. L’exactitude virtueuese de cette étude m’a beaucoup surprise: je ne peux l’expliquer que par une rencontre chanceuse des parents médecins et du dit génie de Barcsay.  Fini ses études, notre jeune artiste crée une sorte de marron foncé ressemblant à celui de Rembrandt. (Le procédé chimique serait digne d’un alchimiste ce qui n’est pas étonnant vu qu’il arrivait de la chimie.) Toutefois, l’oeuvre naissante qui est déjà considérable ne vise pas le monde de Rembrandt, mais plutȏt se pose entre Turner et l’abstraction lyrique américaine en mettant des dessins expressifs et monumentaux côte à cȏte.

Ce qui est spécifique sur ces tableaux, c’est l’absence de la lumière qui est dominante chez les grands maîtres et les représentants de l’abstraction lyrique américaine. Donc nous devrions chercher les secrets de son art dans des couches plus profondes et mélancoliques. Voilà un de ces secrets: pourquoi est-ce que l’éblouissant été de la Grande Plaine hongroise se retire?  On sait bien que ce même été produit la profondeur les bruns de l’automne, mais quand-même: pourquoi la lumière méditerranéenne se retire-t-elle, quoiqu’elle soit pour nous –  qui appartenons à la voie méditerranéenne de la Péninsule Balkanique –  presque palpable? Néanmoins, pour moi c’est ce retirement qui témoigne en quelque sorte de la présence de la lumière.  Au moins, en regardant les tableaux j’ai l’impression que tout d’un coup, la lumière va franchir les murs sombres avec une explosion, déchirant la membrane lentement éclaircissante. Elle ne  la déchire pas en effet, mais je dois affirmer que je la sens là quelquefois, j’entends sa bruit derrière la membrane. Cela résulte la force dramatique intérieure des grandes toiles. Car ces toiles, elles sont bien criardes à l’intérieur de leur propre monde lugubre.

György Verebes m’ a invité à ouvrir son exposition à Szolnok. Je n’ai pas été surpris par le fait que la ville de Szolnok avait été marqué comme le lieu de la première rencontre; je commence à m’habituer aux apparitions de nos artistes de directions tout inattendues. D’abord m’a-t-il informé sur le titre de l’exposition. Titanes, dit-il. Il a ajouté que ses études de main de grand format appartenaient aussi à l’essentiel de l’exposition.  Ma première réaction était de me rappeler les gestes excessifs, même titanesques de sa  jeunesse et les Golems en chair de Benes. Je ne me contentais cependant de tout cela, mais je me suis mis à faire des recherches sur les autres domaines de ce monde mythique.  J’ai essayé d’actualiser mes connaissances concernant ces „vieux dieux” qui – selon le filologue classique hongrois Kerényi – étaient encore sauvages, ne se soumettant à aucune loi. Ensuite je méditais longtemps sur les deux pȏles du monde, sur la relation du grand et du petit, sur leur jeu de bascule, étant donné que jusqu’alors je m’étais concentré sur le petit et même sur le nul en tant que tel.

Heidegger traite longuement la tarière dans son célèbre ouvrage intitulé Introduction à la métaphysique, tandis que Simone Weil fait allusion à la graine de moutarde. Pour citer quelqu’un qui n’était pas philosphe:  Lautréamont sait confronter le petit et le grand d’une manière très expressive. Par cela, il est devenu important pour moi parce que parmi les tableaux monumentaux de Goya, de Blake ou de Böcklin qui représentent des titans, des colosses ou bien la Saturne, il y a un que je trouve le moins exagéré alors le plus consternant: Le génie du pou de Blake…

Malheur au cachalot qui se battrait contre un pou – écrit Lautréamont. Il serait dévoré en un clin d’oeil, malgré sa taille. Il ne resterait pas la queue pour aller annoncer la nouvelle. L’éléphant se laisse caresser. Le pou, non. Je ne vous conseille pas de tenter cet essai périlleux. Gare à vous, si votre main est poilue, ou que seulement elle soit composée d’os et de chair.

La référence aux mains poilues m’évoque la phrase remarquable de Miroslav  Krleza sur laquelle son drame Aréthée est construit: le téléphone est toujours tenu par la main poilue du singe…

Retournant aux vieux dieux dont le royaume serait perdu avec la mort du Pan, c’est Nietzsche, un des idoles du jeune Krleza qui avait des idées mémorables à leurs propos. Avec le Pan, l’homme est aussi mort, sa possibilité d’exister, son utopie. Le Surhumain de Nietzsche n’est nul autre qu’une tentative après la mort du Pan, vu que lui aussi, c’est-à-dire Nietzsche, annonce la mort du Pan (du Dieu).

Analysant le concept du Surhumain, le philosophe Danto écrit: Le Surhumain (Übermensch) est à l’opposé du dernier homme  (der letzte Mensch) qui se satisfait de peu, de son confort et de sa tranquillité et que Nietzsche-Zarathoustra méprise profondément.

Il cite Nietzsche: L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter? Tous les êtres jusqu’à présent ont créé quelque chose au-dessus d’eux, et vous voulez être le reflux de ce grand flot et plutôt retourner à la bête que de surmonter l’homme ?

Danto continue: Nous nous surmontons en soumettant quelque chose en nous-mêmes qui plongera au fond et restera là. Nous allons détruire nos êtres purement humains pour devenir des êtres supérieurs. La vie de l’homme est une sacre, ou au moins elle devrait l’être, une sacre que nous ne présentons pas  sur des humains pour un surhumain, mais pour quelque chose d’accessible. Cela nous garantit la possibilité de nous surmonter.

Nietzsche, encore une fois:

Et il faut que vous soyez sauvés et délivrés d’hommes plus grands encore que de ceux qui étaient les sauveurs, mes frères, si vous voulez trouver le chemin de la liberté.

Jamais encore il n’y a eu de Surhumain. Je les ai vu nus tous les deux, le plus grand et le plus petit homme : —Ils se ressemblent encore trop. En vérité, j’ai trouvé que même le plus grand était — trop humain !

Il ne nous reste plus rien à faire que mentionner les statuettes idoles bien que nous ayons pu commencer par elles en raison du fait qu’elles réunissent le petit et le grand d’une manière paradoxe. Celui qui n’a pas vu la Venus de Willendorf, écrit l’écrivain hongrois Béla Hamvas, n’est pas capable d’imaginer combien elle est énorme. Elle se tient dans la main et quand-même, ses proportions sont celles d’un mastodon.

C’est probablement suffisant pour illustrer ma préparation . Il est temps de prendre mon sac, remplis de feuilles de papiers avec mes notes et partir à Szolnok, comme si je partais pour une aventure excitante, sans mandat ou soutien institutionnel, presqu’en incognite. Ma mission comprend la protection de l’art hongrois de Voïvodine et c’est la cause qui m’attire vers la ville de Szolnok, qui était  pour moi la ville du peintre Adolf Fényes et de sa colonie d’art des années 1920 . La colonie existe toujours et son directeur artistique s’appelle György Verebes…

Je dois vous dire qu’ en dépit de tout cela ma première visite à Szolnok a concerné le théâtre de la ville.  Je me rappelle István Paál et d’autres professionnels du théâtre qui s’occupaient de mettre en scène Ubu roi àNovi Sad (en Voïvodine). Je les rencontre parfois, ici et là,  à Budapest, à Paris, à Avignon… Je me souviens d’une promenade avec un ami de Budapest quand j’ai découvert un petit ruisseau qui traverse la ville. J’ai été ravi par ce petit ruban de l’eau puisque j’aime bien ces petites rivières qui coulent au milieu d’une ville. Miljacka, Ljubljanica et la plus belle, la Neretva, sont comme le sang qui coule  dans le cœur de la ville, et je sens que les villes avec une telle rivière sont des lieux  importants pour grandir … Mais quand j’ai demandé le nom de la petit rivière à mon ami, à ma grande surprise,  il n’a pas pu me le dire. Plus tard, j’ai appris que c’est la Zagyva (son nom veut dire: eau trouble). Plusieurs années sont passé depuis, mais la Zagyva est toujours importante pour moi. Peut-être les messages qu’elle porte des buttes nordiques du pays, de Cserhát, de Mátra, la rendent si considérable. Ou bien, à cause de son nom, je crois qu’elle me protègera de toutes sortes de trouble.

Les Titans sont une série de grands tableaux au ton foncé, durs, bruns, très anatomiques qui évoquent Barcsay, l’académie, le musée de beaux-arts. Les grands gestes semblent disparaître, comme si l’artiste voulait descendre du carrousel de l’art moderne.  Comme s’il cherchait une nouvelle position plus sûre, plus fondamentale pour sa tentative. Il ne se sert plus d’aucun geste de détachement, d’aucun procédé superficiel, aucune aide extérieure ne nous offre une surface en saillie, dans laquelle on pourrait accrocher les ongles.  La virtuosité pourrrait quand-même être saisie et évaluée quand on examine comment l’artiste domine cette technique académique. Comment il maintient la mélancolie inhérente  du matériel alchimique de marron foncé, comment il maintient le son mélancolique du  marron foncé. La sortie du carrousel pourrait être interprétée comme geste titanesque aussi bien que le fait qu’il n’y a aucun essai de représenter ses héros mythiques pour des figures sauvages, poilues ou conformes à une bande dessinée. Rendre l’homme ordinaire son héros, c’est aussi un geste titanesque.

Je voudrais mentionner Nietzsche encore une fois.  On peut aborder les titans de Verebes du cȏté du dernier homme de Nietzsche, ou de l’être-en-compagnie de Heidegger.

La tendance de l’être-avec que nous avons nommée la distantialité repose sur l’être-en-compagnie qui comme tel est préoccupé par l’être-dans-la-moyenne…

Cet être-dans-la-moyenne, à l’intérieur duquel est tout tracé d’avance jusqu’où il est possible et permis de se risquer, surveille toute exception tendant à se faire jour. toute primauté est sourdement ravalée. tout ce qui est original est terni du jour au lendemain comme archi-connu. tout ce qui a été enlevé de haute lutte passe dans n’importe quelle main. Tout secret perd sa force. Le souci d’être-dans-la-moyenne révèle une autre tendance essentielle au Dasein que nous appelons le nivellement de toutes les possibilités d’être…

    Chacun est l’autre, aucun n’est lui-même. Le on avec lequel la question de savoir qui est le Dasein quotidien trouve sa réponse, c’est le personne à qui tout Dasein, à peine s’est-il mêlé aux autres s’est chaque fois déjà livré”.

Verebes a peut-être besoin  de l’être –dans-la-moyenne pour le dépouiller de tout surface, du tout romantisme. Il semble qu’il se prépare á une  leçon d’anatomie assez sérieuse …

On marche sur un terrain extrêmement difficile. Il est presqu’inimaginable comment l’artiste sera capable de continuer sa route vers quelque chose de plus concret, plus vivant, sans schémas en gardant sa position choisie en renonçant à la décorativité, aux couleurs brutales du Pan vivant du Sud. Il est évident que des préparatifs extraordinaires ont été et faits, on peut voir les mannequins des Titans qui ne font pas l’impression des mannequins, ils sont des gens ordinaires comme j’avais déjà dit. C’est pourquoi vaut-il la peine de les aborder du cȏté du dernier homme, car c’est l’homme en tant que tel qui est devant nous. On attend un toucher que le miracle – au moins le pictural – se produise. Un seul. La situation est pour moi très excitante car il s’agit d’une position d’où il faut un effort surhumain pour déplacer, mais cet effort surhumain est exactement celui d’un titan, celui de la situation surhumain de Zarathoustra, celui de la recherche du secret de l’art.

Je répète qu’il y a là quelque chose de titanesque. Mais les portraits de Tizian, ses papes et ses Johann Friedrich, et même les portraits peints par Rembrandt, Cézanne et Van Gogh portent un caractéristique de titan : le fardeau titanesque de notre existence humaine, notre joie de vivre, nos douleurs…  La question est de savoir comment prendre cette tâche en général?  Il ya certainement un chemin entre les grandes figures de Permeke et de  Villa de Kooning de têtes  énormes de Konjovic,   ou Bacon (qui a analysé les papes de Tizian et de Vélasquez, saisi l’essentiel titanesque de Van Gogh, avec les figures  trébuchant sur ​​le terrain,  souffrant des tourments de Tantale) et la peinture figurative de Lucien Freud … Je pense à l’énorme silhouette avec un porte-document de Borovsky, aux têtes de Malevitch et de Birkás, et naturellement aux Golems en chair de Botero et de Benes…

Verebes se courbe sur l’homme avec un soin rarement vu, avec une rigueur minutieuse avec laquelle il a appris à dessiner. L’attention est celle de son maître et de ses parents qui se courbaient sur un corps accouché sur la table de dissection. Cette table , référons encore une fois à Lautréamont, n’est pas seulement le scène de la rencontre fortuite  de la machine à coudre et du parapluie- nous savons que cela définit l’art moderne – mais un lieu où l’homme en tant que tel, le dernier homme, l’homme de masse est tendu. Comme un titan livré.Et avec une humilité évoquant les anatomistes anciens, le peintre commence  l’étude d’autopsie de l’homme tout connu après Léonard et Dostoïevsky mais tant inconnu qu’il nous effrayerait en se heurtant contre nous au coin de la rue. L’autopsie commence et il n’est plus possible de discerner si c’est un couteau pliant qui  brille dans la main, ou le son du violon  de la mélancolie.

Tout étonnés, nous découvrons que le clan ancien, les titans apparaîssent dans le tableau. Oui, dans l’humilité et l’ambition avec lesquelles Verebes dépeint  le visage de l’homme, son crâne, ses mains, ses doigts, j’aperçois la grandeur titanesque du  défi. Plus le défi grandit, plus la décision est ferme. Démontrer le surhumain avec la rigueur académique, avec les marrons foncés, sans utiliser les attributs – usés d’ailleurs – de la férocité, de la monumentalité: c’est la tâche dont l’artiste s’est chargé. La tête et les mains sont finis, on n’attend plus que leur réunion et alors sur les lignes ant-titaniques, au  croisement du couteau et du violon,  le titanesque commence â émettre le miracle, la vie.

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